Critique :
Le troisième roman de Dantec, Babylon Babies, est une œuvre forte et magistrale aux antipodes de ce que l’on trouve habituellement dans la science-fiction française. On peut le considérer comme le dernier volume d’une trilogie qui s’est ouverte avec La sirène rouge et Les racines du mal. En effet, le protagoniste principal de Babylon Babies n’est autre que le fameux Toorop, le mercenaire de La sirène, qui va croiser le chemin du professeur Darquandier et de ses fameuses IA, dont l’une d’elles a donné du fil à retordre aux protagonistes des Racines.
Babylon Babies est un livre patchwork au sein duquel Dantec convie et développe les thèmes abordés dans ses livres précédents : mafia des pays de l’est, trafic d’être humain, schizophrénie, intelligence artificielle à base organique, physique quantique, … Cette rencontre entre des thèmes aussi variés ne pouvaient déboucher que sur un récit dense, complexe où polar high-tech, politique-fiction et cyberpunk fusionnent sur fond d’un monde en plein déclin.
Dantec nous livre une vision pessimiste de notre époque : les pays de l’Est sont dominés par des mafias puissantes, Montréal est le théâtre d’une véritable guérilla urbaine entre bandes de motards, des sectes en plein délire cosmique promettent l’immortalité à ses membres par l’intermédiaire du clonage, les hackers et cyberpunk vivent dans des communautés fermées et recherchent la fusion entre le corps et la machine au sein de la Nation cyborg. Et tout ce beau monde s’affronte à coup de revolver, à coup de missile et même à coup de virus…
En cela, le roman est littéralement fascinant, on dirait que l’auteur prend un malin plaisir à gratter les plaies du monde actuel afin de nous montrer qu’elles peuvent en être les tenants et les aboutissants.
L’histoire commence comme un roman de politique-fiction, on nage alors dans un univers similaire à celui de La sirène rouge. On suit les aventures de Toorop du Kaschantan jusqu’au Canada sur fond de luttes impliquant armée chinoise, mouvement de libération ouïgour, service secret russe, mafia sibérienne, j’en passe et des meilleurs. Il entrecoupe cette première histoire, d’éléments proprement « sciencefictionnesques », qui prendront totalement le dessus dans le dernier tiers de l’ouvrage. On plonge alors dans un univers cyberpunk déjanté mâtiné d’éléments schizophréniques que n’auraient pas reniés un Philippe K. Dick.
Le roman n’est pas d’accès facile, Dantec expose ses idées sur le monde et le destin de l’humanité, en se fichant de savoir si les lecteurs suivront ou non ses élucubrations. C’est clair, l’histoire de Babylon Babies a pour ambition de permettre à Dantec d’exposer les délires qui occupent son esprit. Il se met d’ailleurs lui-même en scène dans la peau d’un romancier de SF dont les œuvres prophétisent l’avenir de l’humanité. En fait, à la lecture du texte, on a l’impression d’entrer dans la tête d’un de ces écrivains à forte personnalité, dont l’acte d’écriture sert avant tout à l’exploration de leurs propres visions et obsessions.
Certains aimeront, d’autres pas. Pour ma part, j’ai littéralement adoré, mais pour parvenir au bout de cette brique, mieux vaut y consacrer tout un week-end, et surtout ne pas interrompre trop longtemps sa lecture, afin de ne pas risquer par la suite de ne plus s’y retrouver dans les différentes intrigues et personnages qui s’entrecroisent dans l’univers en folie de Babylon Babies.
Jeremy BLAMPAIN
|