Critique :
Lorsque les deux chefs de file du mouvement cyberpunk décident d'écrire un roman ensemble, ce n'est pas pour proposer une nouvelle vision sombre d'un futur proche, mais pour créer un univers uchronique.
Toutefois, si La Machine à Différences nous offre la vision d'un XIXe siècle dominé par des machines mécaniques de traitement de l'information, nous ne sommes pourtant pas en présence d’une uchronie classique. Généralement, l’uchronie se contente de changer un ou plusieurs événements fondamentaux de l’histoire et d’envisager de quelle manière l’histoire de notre monde s’en trouverait bouleversée.
Or, l’univers de Gibson et de Sterling semble plutôt appartenir à un univers parallèle au nôtre : l’histoire de ce monde est radicalement différente, sans que l’ordinateur de Babbage en soit pourtant la source (les Etats du Sud et les Etats du Nord américain forment des états indépendants, l’Allemagne n’est pas unifiée, Manhattan est devenue la première Commune fondée par Marx et Engels n’est qu’un industriel qui admire ce dernier).
Plusieurs personnages s’entrecroisent au cours des différentes parties (nommées "itérations") de cet ouvrage de près de 600 pages. Le personnage principal d’une itération devenant un personnage secondaire dans une autre itération, permettant ainsi de développer l’histoire selon plusieurs points de vue. De plus, Sterling et Gibson parviennent à restituer de manière saisissante l'atmosphère grise, lourde, étouffante d'un Londres pollué par les émanations des industries. En cela, ils réussissent un excellent travail au niveau de l'écriture.
En outre, Gibson et Sterling parviennent à introduire les thématiques cyberpunk dans ce XIXe siècle alternatif, la machine à différences étant en fait un ordinateur, les citoyens de la société londonienne sont tous "fichés" et le contrôle de l’information représente un atout considérable dans la quête du pouvoir. On apprend ainsi que pour éliminer totalement l’existence d'un individu, certains ne se contentent de sa disparition physique, mais s’arrangent pour éliminer les données le concernant dans le réseau primitif des machines mécaniques d’informations.
Néanmoins, l'ensemble se révèle inégal. En effet, de nombreuses longueurs freinent la progression de l’action et certains passages n’apportent rien et ce, tant à la description de l’univers qu’à l’intrigue générale. Cet énorme ouvrage aurait sans doute gagné en efficacité si les auteurs avaient fait l'économie de certaines parties.
Quoi qu'il en soit, La machine à différences s'adresse avant tout à ceux qui sont passionnés par la description d'univers alternatifs à notre passé; les autres risquent de trouver le roman ennuyeux au bout d'une centaine de pages.
Jeremy BLAMPAIN |